Se proclamer pour exister

La passion de l’être humain, avec ses zones obscures et lumineuses, est le fil rouge du parcours de Séverine Matteuzzi. Fil rouge qui trace le lien entre toutes ses activités de peintre, comédienne, clown, formatrice en prise de parole et aujourd’hui psychanalyste corporelle.

Séverine Matteuzzi -
Le boomerang des désespoirs est retourné en rêve possible

Mon cœur bat pour qu’enfin l’homme exprime sa beauté au grand jour.

Séverine Matteuzzi

Depuis plusieurs années, j’anime deux ateliers dans le cadre du Printemps de l’Emploi, « Réussir un entretien d’embauche grâce aux techniques théâtrales ». Cette manifestation a lieu tous les printemps dans trois communes de Bruxelles, et propose pendant un mois divers ateliers pour les demandeurs d’emplois. Mon atelier n’est pas imposé, mais proposé à tous les chercheurs de toutes les tranches d’âge et de tous niveaux. Ce n’est pas tant donner « des trucs et astuces » pour une meilleure prise de parole qui m’importe, mais plutôt que le participant retrouve en soi sa dignité afin qu’il continue sa recherche avec tout son potentiel unique, au lieu de se considérer comme un moins que rien. L’estime de soi d’un demandeur d’emploi est souvent fragilisée, soit parce qu’il vient d’être licencié, soit qu’il termine ses études et que son enthousiasme se confronte à la dure réalité, soit qu’il est trop « vieux », etc.

Je suis profondément touchée par l’humain lorsqu’il ne croit plus en sa beauté. J’ai souvent à accueillir cette partie de moi qui se dévalorise sans cesse, et l’autolouange fait des miracles à cet endroit-là. En vivant cette pratique, une lumière s’incarne dans la matière et s’intègre petit à petit dans la vie de chacun. C’est pour cela que j’ai décidé de l’insérer dans mon atelier.

Tout au long de cet article, j’ai introduit des citations de l’autolouange que j’ai écrites en même temps que mes participants. Une sorte de miroir de la qualité qui m’anime lors de ces ateliers. Une grandeur que je cherche à éveiller en moi et en chacun d’eux.

Le Graal est à portée de main, plusieurs fois offert après un petit coup de dépoussiérage.

Le groupe ce jour-là est constitué de six personnes, quatre se sont désistées, sans doute à cause de la peur du coronavirus qui règne à ce moment-là. Il y a deux hommes, l’un proche de la soixantaine, l’autre un peu plus jeune et quatre femmes, l’une sortant tout juste des études, une autre un peu plus âgée, et deux autres flirtant avec la quarantaine. Tous les participants sont cultivés.

Je propose au début que chacun exprime où il en est dans sa recherche d’emploi et ce qu’il désire vraiment. En fait, c’est un moment important, car je sais que ce souhait conscientisé appelle des réponses qui vont leur être données tout au long de l’atelier, je ne suis là que pour qu’ils les entendent quand elles se présentent.

Je m’habille de l’intériorité de chacun pour faire miroir de leur grandeur.

Avant de leur proposer une multitude d’exercices issus des techniques théâtrales, je les convie à être enquêteurs de leur comportement, une sorte de Sherlock Homes au regard bienveillant. Les exercices sont simples, ils servent de laboratoire pour se rencontrer, comme des marches diverses interrompues par un arrêt sur place pour prendre le temps de se questionner de « comment j’ai vécu cet exercice, qu’est-ce qui m’a plu ou déplu » ou une présentation neutre, c’est-à-dire en donnant le moins possible

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de signe extérieur, en gommant tous les gestes « parasites », ce qui amène le participant à se libérer de la peur du regard extérieur. Petit à petit, grâce à ce voyage dans leur intériorité, les masques tombent pour faire place à une sincérité bouleversante. Je navigue tout à la fois avec gravité et légèreté, et tente de ranimer chez eux l’enfant bouillonnant qui ne demande qu’à s’exprimer.

Gardienne des trésors de chacun, j’arrose les fleurs même en hiver. La tempête qui m’habite rebooste les plus démunis.
La foudre tranche l’inutile et laisse apparaître le précieux.

Dans l’après-midi, ils sont mûrs à mes yeux pour une autolouange. Je leur demande alors d’écrire sur une de leurs qualités en utilisant le « je » et en se parant de héros, de stars, d’animaux et des forces de l’univers pour la décrire.

Paul s’est lancé dans le jeu avec facilité, la qualité repérée, la curiosité, prend les traits de Xénophon. Charles est resté sur le versant négatif en décrivant comment l’honnêteté pouvait être blessante pour son entourage, il n’a pas osé se laisser prendre par le versant lumineux. Anne a été arrêtée tout net par un souvenir d’enfance qui l’empêche aujourd’hui d’incarner sereinement une qualité, l’intégrité. Emilie, la plus jeune, devient un rouge-gorge pour décrire tout en délicatesse son don d’empathie. Sandrine n’écrit aucune ligne, perdue. Jocelyne, pleine d’enthousiasme, devient bourgmestre d’un village, protectrice de ses citoyens, avec une belle équipe qui l’entoure.

Je suis dubitative. Pour certains, l’autolouange les vivifie. Pour d’autres, c’est plutôt l’éteignoir. Je sens que je ne dois surtout pas douter. Moi-même, toute emplie de mon autolouange écrite en même temps qu’eux, j’essaie de sentir comment je pourrais rebondir.

Joyeuse, j’étouffe les mal-être en un clin d’œil.
Buster Keaton et Charlie Chaplin sont mes ancêtres : du monde invisible, ils suivent ma route et me soufflent des tours quand je suis en panne d’inspiration.

Pour des personnes blessées dans leur estime de soi, habituées à se voir « petites », nommer une qualité est peut-être jugé prétentieux, ce qui rend l’exercice difficile pour une première fois. Je leur demande alors de décrire une qualité d’un autre participant et ce en « je ». Et là, le tour est joué.

Charles découvre à quel point sa voix de chanteur en a bouleversé plus d’un, Paul, comment il peut être passionnant lorsqu’il partage ses connaissances, Sandrine se reconnaît dans le tournesol ancré en terre et en même temps se tournant vers la lumière, Emilie sourit, ravie de l’effet que procure l’autolouange à sa destinataire, Jocelyne est confortée dans son aspect de leader joyeux, Anne est bouleversée par la sincérité de ce qu’elle reçoit. Le plaisir pour chacun est autant de donner que de recevoir.

Je leur demande alors de proclamer leur autolouange ou celle qui leur a été écrite. Je divise l’espace en deux parties : l’un pour les spectateurs, l’autre pour la scène. Et surprise, chacun y va avec un plus de fantaisie, d’humour, la créativité bat son plein.

L’espièglerie se faufile au coin de mes yeux.

Pendant le tour de parole à la fin, je constate que chacun repart avec une clé pour le prochain pas à poser dans la suite de leur recherche d’emploi.

L’humour trace le chemin, un aller direct au cœur de soi.
Même les jugements sont mes amis, tendres soldats protégeant l’humain d’assauts dangereux. Mon cœur bat pour qu’enfin l’homme exprime sa beauté au grand jour.

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De prime abord, Emma semble frêle tant elle est discrète. D’une sincérité désarmante sur ses moments de désespoir, elle exprime surtout les silences et la peur dans ses premières autolouanges. Peu à peu se révèlent son ouverture d’esprit et sa résilience… ainsi que des percées de sérénité.

Je stresse devant le temps qui m’échappe.
Je suis le vide trouble devant des mots qui ne parlent pas. Je suis concentration du temps.
Je suis l’aiguille d’une montre déréglée.

J’accepte toutes les couleurs du monde. Je suis le calme dans la nuit noire.
Je suis persévérance, j’inspire la confiance. Je suis solitude, j’avance par moi-même. Je suis nuage pur flottant dans un ciel gris.

Je suis gelée du matin, je refroidis tout sur mon chemin. Je suis rayon de soleil traversant des nuages sombres. Je me perds dans mon royaume obscur,Je suis fantôme divaguant entre les âmes du monde. Je suis mon propre capitaine, j’explore mon trésor infini.

Titre du livre: Se proclamer pour exister

Auteur : Sous la direction de Ophélie Schnoebelen, chapitre de Séverine Matteuzzi

Date de publication : 2021

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