Malgré mes doutes par rapport à l’efficacité du vaccin contre le corona virus, ma décision est prise : je vais me faire vacciner pour pouvoir aller voir mon papa de 93 ans qui réside en Suisse. Impossible de le rencontrer sans faire une quarantaine, je ne peux y échapper !
Plus le rendez-vous approche, plus je sens un malaise m’envahir : j’ai le sentiment d’aller me soumettre à une règle incohérente et ça m’est insupportable !
Un souvenir de petite fille vient m’éclairer : j’ai sept ans et j’apprends les règles grammaticales. Je n’y comprends rien, quel est le sens de tout cela ? La maîtresse nous fait faire une dictée et je suis tout à fait capable de faire « un sans-faute » même si je trouve cela débile cette grammaire !
Je décide de tester l’institutrice, elle dicte une phrase qui se termine évidemment par un point et la prochaine commence donc par une majuscule. Je ne mets pas de point donc pas de majuscule pour la suite. Evidemment, je suis pénalisée pour cette faute. Et c’est là où tout se joue, je vais près de ma maîtresse, et je lui montre que je n’ai pas mis de point donc pas de majuscule, logique, non ? Ce que j’attends d’elle à ce moment-là c’est qu’elle me donne le sens de cette règle grammaticale, en quoi celle-ci joue un rôle fondamental à la compréhension du texte et bien sûr qu’elle reconnaisse aussi ma vivacité d’esprit. Pas du tout, elle assoit son autorité et s’en tient à la règle pure – « il faut faire comme cela et c’est tout ! » Je reste pénalisée et l’avenir de ma vie d’écolière se dessine, je la passerais à regarder les nuages dans le ciel et à faire semblant d’étudier.
Mon regard d’adulte se tourne vers ma maîtresse. Je rencontre une femme qui a toujours été une bonne élève, jamais elle n’a remis en question ce qu’on lui enseignait. Ce cadre la sécurisait et lui permettait de mettre sous le tapis un ensemble d’émotions dont elle ne savait que faire. Elle enseigne aussi comme elle a été enseignée.
Elle ne pouvait répondre à ma demande sans que son équilibre vacille. Que j’ose remettre en question son enseignement lui était insupportable ! Il fallait absolument que je me conforme et suive son exemple en obéissant strictement aux règles sans réfléchir, seule manière pour elle de trouver une stabilité.
Sans ce regard attendri sur mon enseignante et la petite fille que j’ai été, sans une réconciliation profonde avec ce moment de ma vie, je serais allée me faire vacciner de la même manière que la petite fille –« je vais les tester en faisant en sorte d’avoir des symptômes, qui mettent ma santé en danger, pour prouver à ceux qui me l’imposent, que ce vaccin n’est pas encore prêt à être inoculé et pour souligner le manque de cohérence de leurs propos ! »
Je me suis sentie libre alors de ce scénario que j’allais inévitablement mettre en place. C’est en paix et confiante que je me suis fait vacciner. J’ai pu voir mon papa tranquillement comme je le désirais profondément.
Séverine Matteuzzi