Une vieillesse à étreindre

Combien de filles ou de fils « indignes » et de parents détestés au cœur de nos histoires ? Pas une seule fois nous n’avons rencontré dans nos cabinets un traumatisme où il n’y ait un enfant victime et un parent bourreau, il s’agit même d’une étape incontournable du revécu en psychanalyse corporelle. Elle est indispensable pour accéder à une réconciliation profonde avec soi et avec nos parents. Ainsi nous sera-t-il possible de les accompagner en paix dans leur vieillesse et leur fin de vie.

La psychanalyse corporelle nous permet de retrouver les quatre moments clés de notre enfance que nous appelons traumatisme. Pour chacun de ces instants, nous nous trouvons confronté à un bourreau de circonstance. Pour les trois premiers traumatismes, lors de la naissance, de la petite enfance puis de l’enfance, ce sont nos parents ou leurs substituts qui jouent ce rôle ingrat et pourtant nécessaire. Il nous faut donc convenir que les pires bourreaux de notre vie sont nos  papas et nos mamans.

Tout se joue de façon inconsciente car les traumatismes ont été parfaitement refoulés tant ils ont été douloureux. Pour autant ils continuent d’agir au travers d’un cycle comportemental qui s’est installé à chacun de ces trois instants et que nous répétons à vie.

Au cours de la cure de psychanalyse corporelle, au début, nous sommes tous emplis de haine pour nos bourreaux jusqu’au moment magnifique où le rideau se lève et que nous accédons à l’intériorité de « l’agresseur ». Là, nous communions avec sa souffrance, nous rencontrons sa misère et nous découvrons les raisons qui l’amènent à se comporter ainsi et combien nous avons tout fait pour que cela se passe de cette manière. Nous sommes alors bouleversés de prendre conscience qu’il est aussi malheureux que nous dans cet instant de vie.

Avoir la chance de rencontrer une part de la détresse de nos parents et comment elle s’exprime à travers leur comportement dans le quotidien, nous aide à les accueillir avec toutes leurs maladresses et à les aimer tels qu’ils sont. L’enjeu est donc de taille car il en va non seulement de la paix au sein de nos familles – première paix avec soi-même et avec ses proches – mais de toutes les autres paix possibles avec nos conjoints, nos collègues, nos amis, le genre humain… De cette première paix découleront toutes les autres.

Lorsque nos parents atteignent l’âge de la vieillesse, tous leurs petits travers qui nous irritaient plus jeune s’accentuent parfois et si nous n’avons pas appris à les aimer ainsi, la tâche s’avère difficile.  Il nous revient souvent d’organiser tout ou une partie de leur vie matérielle et cela peut devenir une vaste source de tension voire de déchirement. Ne sommes-nous pas alors convoqué à une profondeur d’amour et de pardon encore plus élevés ? Voilà qu’au travers de leurs faiblesses, leurs maladresses soulignées par l’âge, ils nous invitent à une plus grande miséricorde.

Sans un travail de réconciliation entre les petits enfants que nous avons été et nos parents maladroits, c’est tout une partie de l’expérience d’amour avec eux qui pourrait bien nous échapper mais peut-être plus encore. Dans le miroir de leur corps qui faiblit, leur dos qui se courbe, leurs bras qui se décharnent, leur mémoire qui s’efface, ne sommes-nous pas devant le miroir de notre propre vieillesse ? Sans des yeux d’amour posés sur tout ce qui nous agace en eux, aurons-nous le courage d’apercevoir les questions profondes réveillées en nous qui concernent notre propre vie ?

La vieillesse de nos parents nous conduit à réfléchir à notre comportement actuel.

Une chance peut-être de nous préparer à une fin plus sereine.

 La réconciliation en psychanalyse corporelle apaise profondément les relations parents, enfants voire grands parents et petits enfants. Mais elle peut aussi ouvrir les portes à une vie plus consciente et plus aimante jusqu’à accompagner nos proches avec amour dans leur fin de vie. Quel bonheur alors et quelle fierté d’avoir appris à aimer son papa et sa maman malgré nos histoires souvent douloureuses.

Jocelyne Guerder, psychanalyste corporelle, témoigne des effets de sa psychanalyse corporelle sur ses relations avec ses parents.

« Quand je commence mon parcours, mes parents déjà âgés plongeaient alors dans la maladie notamment la maladie d’Alzheimer. Ma psychanalyse corporelle a été alors un véritable point d’appui pour apprendre à les accompagner avec amour et tout particulièrement mon papa. Avant de découvrir sa misère lors du revécu du traumatisme de l’enfance, je nourrissais une colère récurrente à son égard sans en comprendre vraiment l’origine. Après cette fin de revécu de la scène traumatique, j’ai vraiment pu l’accompagner en paix, il y a eu un avant et un après très net, je ne le voyais plus comme avant.

Après le décès de ma maman et de mon papa récemment, j’ai pu rester debout  ce qui n’aurait surement pas été le cas sans ce travail de réconciliation. La maladie et la mort qui s’annonçait clairement, m’étaient insupportables. Sans ma psychanalyse corporelle et tout le pardon que j’ai pu vivre sur mon histoire familiale, j’aurais sombré dans la dépression. (…)

Cette réconciliation avec mes parents et avec mon corps a guéri la femme, y compris celle qui n’a pas eu d’enfant. Auprès de mes parents malades et âgés, je crois que je suis aussi devenue maman, mère de mes propres parents. Cela m’a permis de comprendre intimement la nature de cette expérience : prendre soin de soi permet de prendre soin de l’autre.

Auteur : Matteuzzi Séverine & Regnault Sylvie

Date de publication : Avril-Mai-Juin 2022

MAGAZINE REFLET N°43

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